• En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d’un souffle de vent dans la cime d’un arbre, je me dépêche de m’emparer de ma victime.

    Qu’ai-je alors entre mes bras ?


    Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l’effroi à bander. Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé par la mort : un animal vivant et bien chaud, un cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit bien dur.


    Mais il y a aussi des consolations qui viennent à moi sans y être conviées et qui remplissent ma chambre de chuchotements odieux : Je suis ton plaisir – aime-les tous ! Je suis ton talent – fais-en aussi mauvais usage que de toi-même ! Je suis ton désir de jouissance – seuls vivent les gourmets ! Je suis ta solitude – méprise les hommes ! Je suis ton aspiration à la mort – alors tranche !


    Le fil du rasoir est bien étroit. Je vois ma vie menacée par deux périls : par les bouches avides de la gourmandise, de l’autre par l’amertume de l’avarice qui se nourrit d’elle-même. Mais je tiens à refuser de choisir entre l’orgie et l’ascèse, même si je dois pour cela subir le supplice du gril de mes désirs. Pour moi, il ne suffit pas de savoir que, puisque nous ne sommes pas libres de nos actes, tout est excusable. Ce que je cherche, ce n’est pas une excuse à ma vie mais exactement le contraire d’une excuse : le pardon. L’idée me vient finalement que toute consolation ne prenant pas en compte ma liberté est trompeuse, qu’elle n’est que l’image réfléchie de mon désespoir. En effet, lorsque mon désespoir me dit : Perds confiance, car chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits, la fausse consolation me crie : Espère, car chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours.

     


    votre commentaire
  • *A.B*

    “Il avait oublié à quel point il était vulnérable. Est-ce que c’était ça être amoureux, ce sentiment de fragilité ? Cette peur de tout perdre, à chaque instant, pour un faux pas, une mauvaise réplique, un mot malencontreux ? Est-ce que c’était ça, cette incertitude de soi ? Et dans ce cas, qu’existait-il de plus pitoyable, de plus vain ?”

    “Peut-être que tout est là : dans cette inconscience. Ainsi, la vie en bocal est-elle possible tant que tout glisse, tant que rien ne heurte, ni ne s’affole. Et puis un jour l’eau se trouble. Au début, c’est imperceptible. À peine un voile. Quelques particules de vase déposées au fond, invisibles à l’oeil nu. En silence, quelque chose se décompose. On ne sait pas bien quoi. Et puis l’oxygène vient à manquer. Jusqu’au jour où un poisson devenu fou se met à dévorer tous les autres.”

    “Il n’a pas cru à cet amour fragmentaire, intermittent, cet amour qui se passait de lui pendant des jours, voire des semaines, cet amour privé de contenu. Car elle avait toujours quelque chose de plus important à faire. Car ce n’était pas le bon moment. Et il revenait sans cesse à ça : l’histoire s’était usée avant même d’avoir eu lieu. S’était épuisée de tourner à vide.”

    “-Pourquoi je te rencontre maintenant?” Elle était étendue, sur le côté, face à lui, elle caresse son poignet. Ils viennent de faire l’amour pour la première fois. Cela suffit pour s’avoir qu’ils s’accordent. C’est une question de peau, d’odeur, de matière. Inaugurale, la phrase instaure le déséquilibre. Tout est dans le “maintenant”. Maintenant quoi ? Maintenant qu’elle n’est pas guérie d’une autre histoire, maintenant qu’elle a envie de partir vivre à l’étranger, maintenant qu’elle vient de changer de travail ? Peu importe. Il aura tout le loisir d’imaginer, de déduire, d’inventer. Maintenant n’est pas le bon moment.”

    “Il espère lui manquer, comme ça, d’un seul coup. Un vide vertigineux qu’elle ne pourrait ignorer. Il espère qu’au fil des heures elle soit gagnée par le doute, qu’elle prenne peu à peu la mesure de son absence. Il voudrait qu’elle se rende compte que personne ne l’aimera comme il l’aime, par delà les limites qu’elle impose, cette solitude fondamentale qu’elle oppose à ceux qui l’entourent mais n’évoque qu’à demi-mot.”

    Extraits : Les Heures Souterraines


    votre commentaire

  • 1 commentaire

  • votre commentaire

  • votre commentaire

  • votre commentaire

  • votre commentaire
  • Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige : une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie, c’est-à-dire une raison de vivre.

    une raison (au moins une?)...



    votre commentaire
  • Mais tout ce qui m’arrive d’important et tout ce qui donne à ma vie son merveilleux contenu : la rencontre avec un être aimé, une caresse sur la peau, une aide au moment critique, le spectacle du clair de lune, une promenade en mer à la voile, la joie que l’on donne à un enfant, le frisson devant la beauté, tout cela se déroule totalement en dehors du temps. Car peu importe que je rencontre la beauté l’espace d’une seconde ou l’espace de cent ans. Non seulement la félicité se situe en marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie.


    Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et, par la même occasion, celui des performances que l’on exige de moi. Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n’est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n’accomplit pas de performance : ce qui est parfait œuvre en état de repos. Il est absurde de prétendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait – mais en conservant sa liberté. Il est également absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L’important est qu’il fasse ce qu’il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable.

     


    votre commentaire

  • votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique